
Récemment maman a eu 90 ans. J’hésite à écrire « a fêté » ou « a célébré » car ce n’est pas tous les jours que ma mère apprécie avoir cet âge vénérable.
Elle est dans la période qu’on appelle le « grand âge », celle où on tombe un peu dans l’oublie jusqu’à ce qu’on atteigne 100 ans. Et même là, il y a quand-même plusieurs personnes qui réussissent à se rendre à 100 ans, tant bien que mal, donc c’est de moins en moins exceptionnel et on le souligne de moins en moins.
À 90 ans, on vit plus effacé, pour plusieurs raisons. D’abord le rôle de grand-parent a été relégué à nos enfants, qui prennent bien soin de leurs petits-enfants généralement. Le rôle de maman aussi s’est amenuisé, l’audition est moins bonne, la mémoire vacille très souvent, alors comment être la personne-ressource qui les aide et les conseille.
Pourtant, la personne du « grand-âge » est encore bien présente. Elle veut vivre sa vie du mieux possible. Elle recherche les mêmes plaisirs qu’autrefois.
Là-aussi, le bât blesse… les plaisirs d’autrefois ne sont plus ce qu’ils étaient et même s’ils y sont (ce que s’efforce de mettre en action les résidences de personnes âgées), il n’est pas toujours facile d’y participer.
Maman a été une battante toute sa vie. Elle a vécu le drame de voir partir deux conjoints, l’un avec qui elle a vécu 37 ans (plus les 3 années de fréquentation) et l’autre avec qui elle a vécu plus de 10 ans (cela inclue une période d’accompagnement dans la maladie d’Alzheimer).
Elle a été présente aussi pour ses sœurs, toutes l’on quitté pour un monde meilleur espère-t-on. Elle a été la petite sœur de ses frères qui l’ont longtemps protégé comme telle mais l’un est vieillissant lui-aussi et l’autre l’a quitté déjà.
Elle a la chance d’avoir plusieurs neveux et nièces qui lui vouent une affection sincère. Pourtant, pris dans leur propre vieillissement et entourés de leur famille immédiate, peu la visite, elle s’ennuie d’eux. Je ne les juge pas, loin de là, car je visite peu ou même pas du tout, les oncles et tantes qu’il me reste, prise moi-aussi dans le tourbillon de ma vie.
Elle voit décliné et partir la plupart des amis qu’elle a côtoyé dans sa vie. Les déplacements se faisant plus difficiles, elle ne peut les voisiner autant qu’elle le voudrait. Même les moyens de communications sont devenus une tâche ardue pour elle.
Elle a été une mère dévouée pour ses enfants, faisant de son mieux pour leur donner une éducation bien de son époque, avec une touche avant-gardiste. Ce ne fut pas toujours heureux, quel enfant peut dire que son parent était parfait (et nous ne le sommes pas comme parent non plus), mais le fond était rempli de bonne volonté.
Pour ce faire, elle n’avait pas eu de grand modèle, sa maman étant décédé alors qu’elle n’avait que deux ans. Et son papa étant un homme froid, plutôt porté sur la bouteille qui le rendait assez violent. Ce sont ses sœurs aînées, âgées de seulement 12, 10 et 8 ans, qui ont pris soin d’elle avec toute la gentillesse mais sûrement l’inexpérience de leur âge. Par la suite, c’est une belle-maman bien intentionnée qui a pris soin d’elle jusqu’à ses 16 ans, sous l’œil affectueux de ses grandes sœurs qui avaient quitté le domicile, mais veillaient de loin à son bonheur.
Est-ce que maman est bien de son époque? Oh oui, elle a tout vécu, tout vu comme elle m’a déjà racontée. C’est dans le siècle de sa naissance qu’elle a vu arriver la radio, les avions, la télévision et même les ordinateurs. Elle a eu l’ouverture d’esprit de s’adapter à tous les changements qui ont vu évoluer cette époque. Rien de vraiment nouveau n’est arrivé, on a juste amélioré ce qui a été inventé au siècle dernier, m’a-t-elle déjà dit avec justesse.
Aujourd’hui, elle mériterait bien de se reposer, de profiter de la vie et des jours à venir surtout. Après tout, il y en a moins devant que derrière, elle le sait bien.
La santé n’est pas toujours au rendez-vous, ce qui complique un peu l’espoir de cette vie tranquille bien méritée.
Elle frustre et se bat contre la société qu’elle ne reconnaît plus. Sa tête ne suit pas tout le temps non plus, elle a le verbe parfois cinglant. Elle qui a su se faire aimer de tous dans sa vie sociale.
Mais ce grand âge qu’elle vit est à construire. On ne sait trop comment l’aider à s’adapter. Et bien sûr, on se voit dans pas si longtemps, à sa place. L’espérance de vie va bon train, mais accompagné de problèmes de santé, ce n’est pas réjouissant. Je déteste la phrase « c’est un privilège de vieillir ». Je me permets d’ajouter que « c’est un privilège de vieillir en santé ». Certaines personnes âgées ont la chance de ne pas trop souffrir, mais il faut bien l’avouer ce n’est pas la majorité qui peut s’en vanter.
Pour le moment, ce sont les résidences pour aînés qui prennent notre relève, à nous les enfants. En l’occupant, en lui fournissant un milieu de vie agréable et adapté à leurs besoins. Mais le manque de main-d’œuvre y est flagrant là-aussi et les services en question ne sont pas toujours à la hauteur. Ce qui vient ajouter à la frustration de notre maman qui ne comprend pas toujours pourquoi on ne lui retourne pas l’aide dont elle a besoin.
L’autre facette de toute cette histoire, ce sont les coûts rattachés au vieillissement. On n’en parle pas assez je le crains. Je ne sais trop comment notre génération (les boomers, dans mon cas) et celles qui nous suivront pourront s’attendre à recevoir l’aide nécessaire. Pour avoir une certaine tranquillité d’esprit, les résidences sont la meilleure avenue actuellement. Mais pas toujours à la portée de notre budget.
Vivre avec nos enfants ne sera pas nécessairement une avenue prometteuse. Ils ont leur vie, ont fait leur chemin souvent très différemment du nôtre. Mais surtout, ce serait une charge physique et émotive trop exigeante pour eux. Certains le feront et je leur lève mon chapeau d’y arriver. Mais je ne crois pas que les générations qui nous suivent auront l’abnégation que cela demande. Nous ne l’avons probablement même pas dans notre génération.
On parle beaucoup d’encourager les aînés à demeurer dans leur domicile en vieillissant. Là-aussi, je crains qu’on ne se berce d’illusions. L’intention est bienveillante mais il y a déjà un grand manque de main-d’œuvre, comment espérer qu’il y aura suffisamment de personnes disponibles pour donner les soins nécessaires. L’absence de soin pourrait être catastrophique, en particulier pour les personnes seules.
Je parle en connaissance de cause, car je fais des démarches régulièrement pour obtenir de l’aide et cela s’avère une tâche très ardue. Je n’ai pas réussi à trouver des soins convenables. Heureusement, nous sommes deux et je peux apporter moi-même cet aide nécessaire… pour le moment.
Et pour ma mère, c’est à distance que j’essaie de l’aider. Pas toujours facile non plus, mais grâce à la technologie j’arrive à le faire un peu.
Quant aux beaux crédits d’impôt, supposément généreux de nos politiciens en place, bonne chance pour vous débroussailler dans le labyrinthe des formulaires à compléter pour y avoir droit.
Lorsque je travaillais (comme planificateur financier), je tentais de faire réaliser à mes clients, la nécessité d’avoir des économies. Certains me disaient, « oh, à 80 ans, je n’aurai plus besoin d’argent, aussi bien en profiter tout de suite pendant que je le peux ». Mais à 80 ans, leur répondais-je, vous aurez besoin de sous pour vous faire soigner et avoir de l’aide, ne dépensez pas tout.
C’est la triste réalité que nous commençons à vivre… on a supposé que la génération des boomers est riche… soyons honnête, ce ne sera pas la majorité qui pourra profiter de leurs économies.
Voilà donc, à 90 ans, maman a traversé toute une génération. C’est sûr que la vie ne tient qu’à un fil à cet âge, elle en est bien consciente. Mais je considère tout de même que je suis choyée de l’avoir auprès de nous encore et quand elle a de bons jours, je profite de sa sagesse. Les autres jours, je me dis que ce n’est pas la même personne que j’ai devant moi et qu’elle mérite tout de même notre bienveillance, pour tous les jours meilleurs qu’elle a su donner au cours de sa vie.
Liette, ça fait un bien énorme de te lire. Que du vrai dans ton texte. Merci <3
Merci Suzanne!
C’est dommage que la maladie change les personnes au point que parfois on ne les reconnait pas et même surpris. Mais une réalité est toujours bien présente. Notre coeur sait faire abstraction des réactions bizarres et parfois dérangeantes de notre maman malade pour resté connecté à elle parce que on l’aime avec ses qualités et ses défauts. Le présent ne peut effacer toutes les joies, les gentillesses et le soutien qu’elle nous a apportés tout au long de notre vie. Merci pour le partage
Merci Madeleine!