
Je suis une transfuge de classe. Il y a en a plusieurs catégories et je suis assez unique en mon genre.
Je réalise qu’il y a plusieurs catégories car, chaque fois que je parle de ce sujet à des gens qui m’entourent, la plupart s’y reconnaissent. Je pense que nous sommes plusieurs de notre génération dans cette situation.
Pourtant, c’est moi qui ai eu une révélation en lisant « Rue Duplessis » de Jean-Philippe Pleau. Un excellent livre québécois dont j’ai terminé la lecture récemment. Bouquin que j’avais emprunté (et remis depuis) à ma bibliothèque municipale.
Mais cette fois, je n’ai pu résister et je me le suis procurée… papier. Je suis plutôt du genre « numérique » dans mes lectures car, grâce à une liseuse que j’avais reçu en cadeau par ma merveilleuse fille, je trouve cela plus simple. Entre autres avantage, je n’ai pas besoin d’entreposer de livre papier chez-nous qui, généralement accumule la poussière sur une tablette et prenne beaucoup d’espace.
Toutefois, j’ai besoin de relire ce livre, j’ai besoin de souligner certains passages, j’ai besoin de mettre des marque-pages pour retrouver certains mots qui m’ont touché. Je ne suis pas encore assez techno pour le faire avec le numérique, bien que je ne doute pas que ça viendra (car oui, ça se fait).
Donc, comme je l’écrivais plus tôt, je suis une transfuge de classe. Je viens d’un monde où le langage, les valeurs et les façons de vivre étaient différentes de ce que je vis présentement. Je me suis construite dans un nouvel univers, qui me semblait plus proche de ma personnalité, mais je n’arrive pas à m’y retrouver tout à fait.
Mon père était un employé de la construction. Il était tireur de joints. Il gagnait bien sa vie, mais modestement tout de même. Nous n’avons jamais manqué de rien chez-nous, toujours mangé à notre faim, et jamais souffert de froid non plus. Mais nous sentions bien que mes parents tiraient le « diable par la queue », comme ils disaient.
Mon père n’avait pas une grande instruction. Ses parents, pensant bien faire pour leur petit dernier, l’avaient envoyé faire une 6e année commerciale… en anglais, dans une école à Drummondville. Malgré tout, mon père était un autodidacte, il avait beaucoup lu dans sa vie et sa curiosité lui permettait d’aborder des sujets pas toujours de son monde. Il était une sorte de transfuge à sa manière, même s’il n’avait pas réussi vraiment à changer de classe sociale. Il s’est toujours diminué devant les autres. Et je sais qu’il aurait aimé faire de plus longues études, peut-être pour prouver qu’il en était capable.
Ma mère venait d’un milieu plus aisé. Comprenons-nous bien, elle n’avait pas connu l’abondance non plus dans sa vie d’enfants! Mais la place que son père tenait dans son village avait une certaine prestance et lui donnait un statut particulier. Son rôle de femme l’a maintenu dans une pauvreté d’instructions, car son père ne voyait pas la pertinence de faire instruire une fille. On était dans une autre époque. Je sais qu’elle aurait aimé elle-aussi faire de plus longues études, et pratiquer le même métier que sa mère biologique, décédée alors qu’elle n’avait que deux ans.
En épousant mon père, elle a embrassé la classe sociale ouvrière. Elle a donc été un peu déclassé en quelque sorte. Elle en a toujours gardé un manque de confiance en elle et s’est toujours diminuée auprès des autres. Tout en souffrant intimement de sa classe sociale, inférieure à ses yeux.
J’ai donc grandi dans ce contexte, auprès de deux parents à l’estime d’eux bien basse. Ils savaient s’amuser toutefois et leur vie quotidienne fut empreinte de débrouillardise, de bons et moins bons moments aussi.
Mon plus grand avantage, leur souci de voir leurs enfants faire les études qu’eux n’avaient pas réussi à faire. Ils ont bien réussi là-dessus. Leurs quatre enfants ont fait des études. Dans mon cas, je me suis même rendue à un MBA… acronyme qui ne voudrait probablement rien dire pour eux.
Et c’est là que le bât blesse. Mon enfance a été heureuse, ma famille élargie était chaleureuse, aimable et savait s’amuser. Ce fut toujours un bonheur de les retrouver. Mais plus je vieillissais, au fil des lectures et des études que j’effectuais, plus je m’éloignais d’eux. Je sentais un fossé se creuser entre nous. Heureusement, ils ne semblent pas m’en avoir tenu rigueur et ont toujours continué à m’accueillir auprès d’eux avec affection.
Je suppose que c’est moi qui me sentais parfois étrangère, et surtout qui craignait d’avoir l’air prétentieuse. Je me souviens d’un jour, où j’avais échappé le mot « claustrophobe » dans une conversation avec des cousins. Rapidement, ils se sont détournés et m’ont délaissé. À notre retour chez-nous, maman m’a expliqué de faire attention aux mots que je disais. Mes lectures me faisaient assimiler des mots qui me donnaient un air d’extra-terrestre.
Lorsque j’ai rencontré le père de mes enfants, il venait d’un milieu plus aisé que moi. Même si leur richesse avait été souvent le lieu de problèmes récurrents. Il avait tout de même connu une vie très différente de la mienne. Il connaissait les bonnes manières en société et m’a souvent fait remarquer mon côté mésadapté là-dessus. Ça ne faisait que me rabaisser et me conforter dans ma personnalité d’une classe sociale « inférieure » (comme maman m’en avait convaincu indirectement).
Après ma séparation et à force d’efforts, j’ai gravi les échelons dans mon travail. En poursuivant mes études jusqu’à la maîtrise, j’ai pu améliorer mon sort et donner une meilleure vie à mes enfants. Ce faisant, je me suis retrouvée dans une nouvelle classe sociale (je fus même « patron » pendant un temps).
Mais, curieusement là non plus, je ne me suis pas sentie toujours à ma place. Je manque d’éducation pour côtoyer ces gens d’une autre classe sociale. On ne m’avait pas appris toutes les bonnes manières. Et la plupart du temps, je me sentais inférieure à leur côté. D’ailleurs, on m’a souvent reproché de faire sentir cet état d’esprit dans mes écrits.
Puis est venu la lecture de ce livre… une épiphanie pour moi. Enfin, je comprenais pourquoi je me sentais comme ça. Je ne me retrouve souvent pas à ma place dans aucun milieu. Cette ambivalence qui m’habite est le résultat de ce transfuge de classe.
Dernièrement, alors que je me retrouvais simplement sous les mains habiles d’une massothérapeute, je lui ai dit « pour moé… » dans une conversation que j’avais avec elle. Pendant ma période de méditation qui a suivi (sous de bons soins), j’ai réalisé que ma prime éducation resurgissait rapidement quand je ne contrôlais pas. Deux mots simples mais qui dénotait bien d’où je venais.
Je serai toujours une transfuge de classe mais au moins, je comprends mieux pourquoi maintenant.
Laisser un commentaire