Récemment ma petite-fille (jeune adulte) me faisait remarquer que je ne disais pas souvent « je t’aime ». C’était plein de bienveillance.

Elle m’a apporté une bonne réflexion sur le sujet. Rien de tel que les jeunes pour nous remettre en perspectives certains aspects de notre vie d’aînés.

Il m’est arrivé de porter un jugement sur les « je t’aime » que je vois distribué à toutes les vents. Je me suis même demandé, à l’occasion, s’ils étaient réellement sincères vu leur abondance.

Bien sûr, je ne doute aucunement de l’amour de ma petite-fille quand elle me le dit. Je sais que notre affection l’une pour l’autre est bien réelle.

Alors sa remarque m’a fait remettre en question mon jugement.

Je suis de la génération où les « je t’aime » ne se disaient pas si souvent car, pour nous, ils étaient les paroles d’un amour profond. Celui qu’on ne disait que lorsque la rencontre avec l’homme ou la femme de notre vie devenait un appel à une plénitude où l’affection ne pouvait être dénier et un sentiment d’éternité bien présent.

Pour moi, grande rêveuse, dans ma jeunesse, je l’ai souvent espéré dans ma vie. Je chantais toutes les mélodies qui le clamaient!

Les médias, les séries télévisées et les films d’amour ont contribué à nous le faire croire en tout cas. Plusieurs personnes de ma génération auront donc dit ces simples mots « je t’aime » à plus d’une reprise à l’être qu’il croyait aimer pour le reste de leur vie.

Lors d’épisodes très romantiques, mon ex-conjoint me l’a dit à plusieurs reprises et moi-aussi bien entendu.

Avec mon conjoint actuel, dont je partage le quotidien depuis 35 ans maintenant, je me souviens de la première fois où il m’a dit « je t’aime ». J’étais tombée follement en amour avec lui dès les premières journées où je l’ai connu. Quand j’ai senti que c’était réciproque, j’étais la femme la plus heureuse au monde.

Depuis, pourtant, ces mots ne sont pas souvent sortis de sa bouche. Lui-aussi, il n’est pas de la génération où on prononçait cette petite phrase profonde.

Pourtant, j’ai senti son amour quand-même. D’abord parce qu’il a pris mes enfants (et mes petits-enfants) sous son aile depuis qu’on est ensemble. Cette réciprocité d’amour avec eux, je l’ai bien sentie depuis trente-cinq ans de vie commune.

Leur a-t-il dit qu’il les aimait? Je ne pense pas. Il leur a prouvé par beaucoup de gestes, mais la petite phrase magique n’est pas sortie de sa bouche à mon souvenir.

Je sais aussi qu’il aime profondément son frère. Ils vouent un amour fraternel très fort, et cela depuis leur enfance qui ne fut pas des plus heureuse.

Lui a-t-il dit « je t’aime ». Je crains bien que non. Mais je suis certaine que son frère ne doute pas de son affection sincère. Tout comme mon homme ne doute pas de l’affection qu’il lui porte.

Ma mère me dit souvent qu’elle m’aime. Mais je ne me souviens pas qu’elle le faisait lorsqu’elle était plus jeune. Je pense que le vieillissement lui apporte une sorte de sérénité où elle comprend le bienfait de ces paroles.

De mes frères et sœur, seul l’un d’entre eux me le dit souvent. Il est comme mon jumeau, et c’est vraiment réciproque. Est-ce que je le lui dis moi-aussi? Peut-être pas assez, j’en conviens.

J’ai encore de la difficulté à le dire, même à mes enfants et mes petits-enfants. Non pas parce que je ne les aime pas, mais parce que ces mots ne viennent pas aussi facilement de moi que pour les gens de la génération actuelle. Je ne les ai pas en bouche instinctivement.

Ma façon de dire « je t’aime » a toujours été différente. J’aime bien affubler mes proches de petits mots affectueux; « mon p’tit chaton », « ma belle chouette », « mon p’tit cœur », etc. J’aime bien aussi chercher ce qui leur ferait plaisir, j’essaie de les écouter et de trouver le geste, le petit cadeau, etc, qui mettrait un peu de soleil dans leur vie. Quand je les vois sourire après, c’est le plus beau cadeau qui puisse m’être donné.

C’est d’ailleurs ce qui nous manque en vieillissant. Leur vie est bien remplie, c’est eux qui cherchent à nous faire plaisir (et y réussissent très bien), c’est difficile de leur offrir ce sourire qu’on aime tant voir dans leur visage.

Souvent, on n’offre que de l’inquiétudes, surtout lorsque la maladie s’installe.

Les communications n’ont jamais été aussi faciles. Les marques d’affection se transfèrent par centaine via les réseaux sociaux, les courriels, etc. Ça fait toujours plaisir d’en recevoir (et même d’en donner, puisque je m’adonne à ce même plaisir).

Mon questionnement est : peut-on fait la différence entre l’amour profond et le sentiment d’affection? En anglais, c’est facile d’en faire la différence, il y a les « like » et les « love ». En français, la différence est plus aléatoire dans les discours. J’aimerais parfois mieux comprendre le sens, quand on me lance un « je t’aime ».

Et pourtant, les deux marques d’affection sont aussi bonnes à recevoir l’une que l’autre.

Je continuerai à faire de mon mieux pour dire « je t’aime » à mes proches. Mais il se peut que mes 70 ans d’existence, avec d’autres façons de faire, soit un peu compliqués à changer.

Alors à tous les amours de ma vie, soyez assurés que je vous aime très fort même si je ne vous le dis pas assez souvent!