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LES « IL FAUT »!

Ma vie est remplie de « il faut ». Ça m’a frappé récemment. Vous me direz que ça m’a pris du temps à le réaliser. Mais cette simple petite phrase est tellement ancrée dans ma vie que je ne m’en rendais même pas compte.

Je suis l’aînée d’une famille de quatre enfants. Lorsque j’eus 11 mois, un petit frère m’est né. Nous avons grandi un peu comme des jumeaux, malgré nos personnalités bien propres. Je ne me souviens pas d’avoir souffert d’avoir ainsi perdu mon rôle d’enfant unique. Encore aujourd’hui, ça me rend heureuse de l’avoir dans ma vie.

Mais dès lors, les « il faut » sont apparus dans mon quotidien. Étant l’aînée, il fallait que je donne l’exemple. Il fallait que je sois sérieuse. Il fallait que je m’occupe de mon petit frère. Maman et papa me faisaient des « chuts » pour ne pas réveiller ce petit frère, il fallait que je sois silencieuse.

Assistant au mariage de ma cousine (voir photo ci-haut, ma cousine Jeannine Hamel est décédée récemment, cette photo lui rend un peu hommage en quelque sorte), on m’y voit avec un petit sac à main que j’ai déposé par terre. Mon cousin Robert me tenant gentiment la main. C’est là que j’aurais mérité le surnom de « vieille fille ». Surnom qui m’est resté jusqu’à aujourd’hui. Les « il faut » auront bien montré mon côté sage.

Puis une petite sœur est arrivée et aussi un autre petit frère. La place d’aînée a donc gradué et les responsabilités venant avec aussi.

Je n’en ai jamais été malheureuse. Ça me semblait tout à fait normal. Je n’ai même jamais essayé d’analyser le pourquoi de ces « il faut ».

J’ai été la gardienne attitrée de mes parents. Dès l’âge de 9 ans, il fallait que je sois responsable pour m’occuper de la maisonnée lors de leurs courtes absences d’abord, puis un peu plus longue en vieillissant. Jusqu’à m’occuper de tout durant leurs semaines de vacances. Encore une fois, j’en fus toujours heureuse, je ne me souviens pas d’en avoir souffert.

Bien sûr, ces responsabilités ont développé progressivement les « il faut », ce qui n’a pas manqué de devenir mon credo quotidien.

Adolescente, j’ai bien fait quelques frasques inhérentes à cette période, mais la culpabilité de ne pas avoir écouté les « il faut » me rendait malheureuse au plus haut point.

J’ai vite repris mon rôle dès que j’ai rencontré l’amour et la vie de couple qui venait avec. Devant cet homme machiste, j’ai redécouvert les « il faut ». Il faut que je sois une bonne femme, que je m’occupe de mon homme comme il faut, etc.

Il fallait aussi que je le rende heureux, c’était le rôle de femme que je croyais être normal. Il fallait que j’oublie mes propres aspirations, les siennes étant plus importantes que les miennes. Enfin, j’ai tout fait pour m’en convaincre, ce qui provoquait en moi, la féministe de mon adolescence, des conflits difficiles à affronter.

Puis j’ai eu des enfants, encore là, il fallait que je sois une bonne mère, que je leur donne tout l’amour maternel que l’on doit. Quand, par malheur, je ressentais le besoin de penser à moi, un sentiment de culpabilité me faisait sourciller rapidement. Et je reprenais le rôle bien défini par la société (et par l’exemple de ma mère aussi) de maman à plein temps auprès de ses enfants.

Le besoin d’aider au budget familial m’a envoyé sur le marché du travail et là, le sentiment de culpabilité n’a fait que s’accroître. Je ne répondais plus au « il faut ». C’était impossible de concilier les besoins de tous, à chaque instant.

Même ma séparation m’est apparue comme une défaite devant les « il faut ». Heureusement, la rencontre d’un autre homme dans ma vie m’a aidé à retrouver mes « il faut » surtout auprès de mes enfants. Je dirais même qu’ils sont devenus ma priorité, avec l’aide de cet homme qui m’appuyait dans mon rôle de mère et de « il faut ».  Et je dois ajouter que ma nouvelle relation amoureuse était plus égalitaire, cet homme ayant à cœur de me voir m’épanouir. Malgré tout, je ressentais encore le « il faut » pour le rendre heureux lui-aussi.

La vie n’a fait qu’aller en ce sens… Aujourd’hui, il n’y a pas grand jour où je ne me dis pas « il faut ». Il faut voir à la bonne santé de mes proches, il faut essayer de concilier toutes les valeurs familiales, avec mes enfants et mes petits-enfants aussi. Il faut penser à moi, prendre soin de moi. Ben oui, même s’occuper de soi est devenu un « il faut ».

Moi qui croyais trouver une liberté nouvelle en prenant ma retraite, je me retrouve à me répéter encore le « il faut » lorsque j’avance dans la vie.

Ma tête est remplie de « il faut », je pense que c’est le lot de beaucoup de femmes de ma génération. Il fut un temps où on nous appelait les « wonder woman », il fallait être partout en même temps. Il fallait prendre soin des autres et de soi en même temps, tâche quasi impossible, soyons francs.

Et je dois bien l’avouer aussi, c’est presqu’impossible de modifier ces « il faut » dans ma tête. Elle est programmée ainsi et il me faudrait toute une séance d’hypnose pour la déprogrammer.

En vieillissant, je suis aussi consciente que ces « il faut » vont me faire très mal. Déjà, je ressens plusieurs incapacités à rencontrer ces ordres. Je n’ai pas le choix d’abdiquer et je sais bien que ça va aller en empirant. C’est le lot du vieillissement de ne plus pouvoir répondre aux « il faut » et de se sentir ainsi de moins en moins utile.

Les valeurs ont beaucoup changé, les générations qui suivent celles des baby-boomers ont appris à ne pas culpabiliser, à avoir moins de « il faut » dans leur vie. Tant mieux… mais ce sens du devoir n’est-il pas aussi une descente vers le « je-me-moi » dont souffre tant notre société.

5 commentaires

  1. Nadia

    Il faut que ‘tu’ te rendes heureuse!

    • Liette Picotin

      Merci Nadia, je suis choyée, il y a beaucoup de moments heureux dans ma vie.

  2. Toupin, Jocelyne

    Ah oui! Parlons-en de ces « il faut »! Je suis l’enfant unique de mes parents, qui ont dû se contraindre aux « il faut » eux aussi puisque je suis née 1 mois après leur mariage. « Il fallait « me donner un nom et « il fallait « sauver l’honneur de la famille. J’ai grandi dans conditions et « il fallait » que je sois la petite fille sage, polie, bien élevée. « Il fallait que je paraisse bien aux yeux de la famille et des autres. J’ai bien tenu ce rôle imposé par mes parents jusqu’à l’âge de 16 ans. Dans ce temps-là, « il fallait » que les filles restent chastes et pures jusqu’au mariage. « Il fallait » attendre d’avoir nos 21 ans pour atteindre la « majorité » et ne plus être sous la gouverne de nos parents. Donc, à 16 ans, « il a fallu » que je passe par la révolte pour « gagner » ma liberté, ce qui m’a coûté très cher. « il a fallu » que je me trouve un travail pour pouvoir laisser l’école mais « il fallait » que je reste la bonne fille. Je transportais depuis la tendre enfance un grand secret qu’il m’étais impossible de dévoiler. Puisque c’était devenu invivable et que j’étais très malheureuse, j’ai exploré différentes avenues pour partir de chez mes parents. Mais aucun de mes arguments ne comptait. Je vivais sous la menace. « Il fallait » que je reste jusqu’à majorité, ou jusqu’à ce que je me marie. Ces « il faut » ont ruinés ma vie. Comme je ne pouvais supporter de vivre sous ce toit jusqu’à mes 21 ans, « il fallait » que je me trouve une porte de sortie. Lorsque je rencontrerai un homme, « il faudra » qu’il devienne mon futur mari. J’étais au désespoir. Malheureusement, je l’ai rencontré cet homme. Comme je n’avais que 19 ans, « il fallait » que mon père signe pour que le mariage puisse se faire. D’emblée, il refusa d’aller signer.
    Comme dernier choix « il a fallu » que je tombe enceinte. « Il a fallu » que je sacrifie ma virginité et j’ai ainsi pu me marier. Quel mariage démentiel! Voilà jusqu’où tous ces « il faut » m’ont menée. À 20 ans, un beau bébé dans les bras et un mari disparu dans la nature, on ne sait où!

    • Liette Picotin

      De tout coeur avec toi. Je sais que nous sommes une génération de « il faut ». Certins « il faut » furent plus difficiles à porter que d’autres. XOX…

      • Toupin, Jocelyne

        Oui Liette tu as tout compris. Mais ces « il faut » si difficiles à vivre m’ont apprit à diriger ma vie vers de meilleurs « il faut ». Heureusement que ces « il faut » néfastes m’on obligée à me prendre en main; « il a fallu » que je prenne le taureau par les cornes et que je trouve les moyens de faire tourner les « il faut » en ma faveur. Sans tous ces « il faut », je ne serai pas qui je suis devenue aujourd’hui et j’en suis fière.

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