Je suis de la génération qui a grandi dans la foi catholique, celle que l’on nomme « judéo-chrétienne » lorsqu’on veut démontrer tout le mal qu’elle nous a fait.

Je ne me suis jamais sentie malheureuse dans ma foi. J’ai été chanceuse, semble-t-il, de vivre de beaux moments et d’en récolter de bons enseignements.

Il est vrai que j’ai entendu des histoires d’horreurs de gens qui ont vécu au sein de ces préceptes. Mais je me répète que c’est l’institution qui a eu des problèmes de santé, pas la foi que j’avais.

On est bien prêt à critiquer les religions, quel qu’elles soient, mais je ne juge aucune religion tant qu’elle parle d’amour.

Dans cet optique, j’ai grandi en apprenant à être là pour l’autre, à penser à l’autre avant soi. Alors toute ma vie en est empreinte, comme beaucoup de gens de ma génération bien sûr. Je suis loin d’être parfaite, j’ai parfois failli à ma tâche, à mon plan de vie. Et je me suis alors sentie coupable.

En soi, ces valeurs ne sont pas à proscrire. L’amour est un baume pour le cœur, pour quiconque veut s’en imprégner. Penser à l’autre pour le rendre heureux n’est-ce pas l’aboutissement parfait d’une relation d’amour.

Comme tout enseignement, il faut en regarder les avantages et les désavantages.

Au crépuscule de ma vie, j’en suis à analyser les gestes que je pose au quotidien.

C’est plus fort que moi, lorsque je ressens de l’amour ou même seulement de l’affection pour quelqu’un, j’ai envie de répondre à tous ses besoins. Je veux le voir heureux et je cherche par tous les moyens à y arriver.  

Ce fut souvent au détriment de mon propre bonheur. Je fus souvent blessée dans mes relations. Je pense en avoir tiré des leçons et j’arrive maintenant à départager. Enfin, la plupart du temps.

Aujourd’hui, le mot d’ordre est le « penser à soi ». Là-dessus aussi, je me pose des questions, ne va-t-on pas trop dans l’autre extrême?

Car ce que je constate, c’est que les gens ne sont pas plus heureux. Il y a tant de problèmes autour de moi. Les gens vivent de l’anxiété et c’est de plus en plus commun autour de moi. Cette anxiété ne serait-elle pas causée par l’isolement que nous vivons en misant sur nous uniquement.

La force de l’autre est un enrichissement dans une vie. Si on s’isole, on s’en prive. Et en ne pensant qu’à soi, ou pire en se servant de l’autre pour servir notre « moi », ça ne nous aide pas à avancer dans la vie.

Il faut se découvrir, apprendre à se connaître, ce qui prend au moins toute une vie. Pour ce faire, l’autre nous est nécessaire.

Comprenons-nous bien, je ne suis pas en train de prêcher de n’œuvrer que pour l’autre. Car c’est l’erreur de notre génération, avoir crû que c’était la seule façon de trouver le bonheur. Je suis très admirative de ceux qui ont réussi à le faire, surtout si ça n’a pas gâché leur vie mais l’a embelli. Moi, je n’y suis pas arrivée.

Jeune, j’ai rêvé de beaucoup aider autour de moi. J’ai même pensé à être religieuse à un moment donné, voyant là une façon d’aider les autres.

Ensuite toute ma vie, prise dans le tourbillon de la vie de famille, à travers quoi il me fallait m’installer dans une carrière qui me permettrait de faire vivre ma petite famille en premier lieu, j’ai continué à rêver de bénévolat. Partir à l’étranger pour y travailler a fait partie de mes espoirs. Je croyais réaliser ce rêve à ma retraite, mais la santé n’était plus au rendez-vous, j’avais manqué le bateau.

Je me suis essayée à « bénévoler » avec différents organismes, pour réaliser que je n’avais aucune compétence, mais surtout pas assez de patience, pour aller au bout de mes bonnes intentions.

Au fond de moi, je sais que c’était égoïste, je recherchais à prouver que j’étais quelqu’un de bien. Comme on me l’avait enseigné. Je pense faire une sorte de bénévolat auprès des miens, en me servant de mes capacités, sans aller au-delà toutefois.

Depuis peu, je participe à un groupe de soutien pour proche-aidants. Les commentaires que j’y entends sont tellement remplis de ce sacrifice de soi, de ce dévouement auprès des leurs. C’est tellement typique de notre génération… Je suis bien loin de cette abnégation. Je fais de mon mieux, mais je réalise que je ne suis pas dans une situation aussi dramatique que ces gens. Ça me fait réfléchir.

Jusqu’où peut-on aller dans le « être là pour l’autre ». Plusieurs de ces personnes semblent au bout du rouleau, il y a si peu d’aide. Notre système de santé est bien malade.

J’y ai trouvé aussi de la lucidité, on comprend qu’il faut lâcher prise, qu’il faut apprendre à dire non, qu’il ne faut pas s’en vouloir si on n’est pas parfait. Être là pour l’autre reste donc encore un bon plan de vie.

On demeure sur le bateau et on essaie de ramer du mieux qu’on peut.  

Au fond, l’âge nous apporte cette tranquillité d’esprit, pour trouver l’équilibre. Parfois le bateau tangue, il verse d’un bord et de l’autre, mais on arrive à le ramener et à profiter des jours plus heureux quand la mer est calme.