
Je me souviens du jour où j’ai appris que j’allais être grand-mère pour la première fois. Je ne me sentais pas prête. Je n’avais que 47 ans, c’était un peu normal. Et surtout, je craignais pour ma fille, alors que je la voyais entrer dans le monde adulte, par la porte des responsabilités. Mais là, c’était mon cœur de maman qui me parlait.
Et pourtant, ce fut l’un des plus beaux jours de ma vie que la naissance de cette première petite-fille, après celle de la venue de mes enfants bien sûr. Et ma fille a relevé haut-la-main ce défi, celui d’être une mère monoparentale.
J’ai joui de chaque moment avec cette petite-fille que la nature m’avait donné. À la seconde même de sa naissance, au moment même de son premier pleur dans la salle d’accouchement où j’avais la chance inouïe d’être présente.
J’ai préparé cette naissance avec ma fille. J’ai partagé sa créativité avec la décoration de la chambre de cette petite. Puis après la naissance, j’étais heureuse de partager encore plein de beaux moments de vie avec elles.
Mon seul « hic », c’était mon emploi qui m’empêchait d’en profiter autant que je l’aurais voulu. J’ai dû laisser la place à d’autres qui voulaient en profiter eux-aussi, à juste titre. La vie d’un enfant, c’est un baume de joie dans un parcours de vie pour quiconque gravite autour.
Mais moi, je me sentais coupable de ne pouvoir en donner plus, et parfois un peu jalouse de ces autres personnes qui prenaient une place près de ma petite-fille.
Les années ont passé, les deux ont pris leur envol et mon rôle de grand-maman s’est peu à peu effacé. Je ne me plains pas, je sais que j’ai été choyée de vivre ces moments et croyez-moi je les ai appréciés à chaque seconde. Ma petite-fille est devenue une belle grande jeune femme. Je sais qu’elle aime sa grand-maman mais elle a sa vie à vivre et je le comprends très bien.

Mon fils m’a fait lui-aussi la joie de me donner deux autres petites-filles. J’ai revécu le même sentiment de plénitude, la joie de voir ces petites-filles qui avaient un peu de moi. Je les vois grandir en beauté et en intelligence, c’est tout un honneur. Quels moments de bonheur intense dans une vie, être grand-mère!
Et là encore, beaucoup de culpabilités de ne pouvoir être aussi présente que j’aurais aimé mais pour d’autres raisons cette fois. La santé défaillante du vieillissement m’empêchant de jouer mon rôle comme je l’aurais aimé.
Je discutais avec des amies l’autre jour sur le rôle de grands-parents. Bien sûr, je pense qu’il y a autant de façon de faire qu’il y a de grands-parents. Difficile de comparer et de s’ajuster dans ce monde étrange où nous vivons.
Je leur racontais que, malgré toutes les belles histoires que l’on entend dans les médias, peu de gens de notre génération ont réellement connu leur grand-parent. C’est mon cas, ayant perdu des grands-parents à l’âge de 6 ans et de 12 ans. Un seul grand-père fut là jusqu’à ce que je sois adulte, mais je ne peux parler de proximité.
On a dû inventer ce rôle, inventé nos valeurs à transmettre aussi dans ce monde en pleine évolution et créer notre façon de faire.
J’ai tenu fermement à être appelé « grand-maman ». La mode étant plutôt au « mamie » un terme que je ne comprends pas trop, même si ça sonne gentil et amical. Est-ce que ça adoucit le fait que le mot « grand-mère » qui prête à parler de vieillesse. Assurément, une « mamie » semble plus jeune. Moi, j’assume pleinement mon rôle de grand-mère et l’âge qui vient avec. Mon conjoint a choisi de se faire appeler « pépère », un terme qui prête encore plus à la vieillesse bien sûr. Lui-aussi, il semble l’assumer pleinement. De plus, en anglais une maman se fait appeler « mommy », est-ce que le « mamie » en français découlerait d’un anglicisme. Ça mériterait d’être exploré!
Qu’est-ce qu’une grand-mère peut et doit faire? Elle ne doit surtout pas prendre la place de ses enfants, ce fut ma première pensée, la première règle que je me suis imposée. Ce n’était pas facile pour la mère un peu contrôlante que j’avais été. Parfois je les ai vu (ou j’ai cru voir) faire des bévues dans leur rôle de parent. Ce n’était pas à moi de leur faire voir ce que j’en pensais. J’ai tenté, tant bien que mal, de les encourager plutôt en leur disant qu’il n’existait pas de parent parfait quand, ils me racontaient certains déboires ou moment d’éducation qu’ils trouvaient difficiles. Car oui, qui serais-je pour donner des leçons, je suis loin d’avoir été une mère parfaite, c’est sûr. Et puis, était-ce vraiment des bévues ou juste de nouvelles façons de faire dans un monde différent.
Mais alors, comment doit-on agir auprès de nos petits-enfants? Les gâter, c’est le rôle traditionnel qu’on connaît des grand-mères? Je ne suis pas une grande cuisinière, je me débrouille sans plus, alors leur concocter des petits plats de grand-mère ne fut pas ma force (même si je m’y suis essayée un peu). J’ai aussi tenté de coudre, de tricoter même, sans grand succès. Il est si facile d’avoir du tout-fait de nos jours, alors que pourraient-elles bien faire de nos cadeaux maladroits.
Mon côté trop intellectuel m’a joué des tours aussi auprès d’elles. Moi j’aurais aimé leur apprendre notre belle langue française, en leur partageant mon goût de la lecture, les amener voir (et entendre) de belles pièces de théâtre dans la langue de Molière principalement. Enfin bref, leur faire découvrir les arts, surtout littéraires mais aussi musicaux, mon dada personnel. Dans le contexte actuel, où la langue de Shakespeare prend toute la place, avec l’ouverture de toutes les frontières grâce, entre autres, à la technologie, mon discours d’un autre temps ne fut pas très attirant, j’en conviens. Pire, mon handicap personnel de ne pas bien parler cette deuxième langue m’aura empêchée de bien communiquer avec elles.
À un certain âge, surtout à l’adolescence, on pourrait devenir leur confidente me disais-je. Mais là encore, impossible de passer par-dessus leurs parents. Et elles ont vite compris que me raconter leurs histoires personnelles risquaient de ne pas être confidentiel (je pouvais garder un secret bien sûr mais pas si ça les mettait en danger). Et si j’avais cru que mes petits-enfants vivaient de la maltraitance, j’aurais passé par-dessus mes enfants, ce qui ne fut jamais le cas heureusement.
Les parents veulent aussi profiter de chaque moment de bonheur auprès de leurs enfants. Ils veulent créer ces moments familiaux par eux-mêmes et c’est normal, l’enfance ne repassera pas. C’est ce que nous avons eu avant eux, avec probablement moins de grands-parents et d’amis dans le décor (notre génération ne leur ayant pas donné beaucoup de frères et sœurs, il a bien fallu qu’ils se tournent vers les amis… ne dit-on pas qu’il faut un village pour élever un enfant). J’ai donc respecté leur intimité, du mieux que je le pouvais. Il m’a fallu rester présente tout en gardant mes distances, c’était complexe.
Imaginez alors le rôle de l’arrière-grand-mère… alors là, c’est vrai qu’on réinvente complètement les relations familiales. Ma mère le sera pour la 9e et 10e fois en 2023, quelle belle nouvelle. Mais ces enfants à naître sauront-ils vraiment qui elle est! Comme les 8 autres qu’elle a déjà d’ailleurs. Pourront-ils comprendre tout ce qu’elle a vécu? J’en doute fortement. C’est tout de même une belle histoire, des générations qui se perpétuent, rien de plus réjouissant pour ma maman.
Puis un jour, les parents s’en vont… et les générations qui suivent grimpent d’un rang dans la hiérarchie et ce sera à leur tour de chercher leur place dans la vie de leurs enfants, de leurs petits-enfants et qui sait dans celle de leurs arrière-petits-enfants.
Et vous, comment vous décririez le rôle d’être grand-maman (ou grand-papa)?
Un peu comme toi finalement. Je n’ai qu’un seul petit-fils et je l’aime de tout mon cœur. Mon seul regret c’est que je ne le vois pas assez souvent vu la distance et les circonstances du genre « pandémie ». Ne le voyant pas très souvent il ne semble pas très attaché mon plus. Quand je lui parle de venir dormir à la maison, il n’est pas très enthousiaste. Il n’est pas affectueux, ça rend les choses un peu plus difficiles. Pour m’encourager je me dis qu’il y a des grands-parents dont les enfants et petits-enfants demeurent dans un autre pays. Je rêvais d’être sa confidente un jour et qu’il me téléphone pour me raconter sa journée. Il n’a que 7 ans, peut-être que mon rêve se réalisera. Comme toi Liette je suis grand-maman et non mamie, par choix. Être grand-maman c’est un grand privilège. J’ai connu mes deux grands-mères; j’ai adoré ma grand-mère maternelle que j’ai eue jusqu’à mes 21 ans… près de 50 ans plus tard je me rappelle encore de l’odeur de son parfum, de son rire, ses beaux chapeaux, sa coquetterie quand elle sortait son petit miroir pour se poudrer et mettre du rouge à lèvres. J’espère que Léo gardera de bons souvenirs de moi, grand-maman Manon..
J’adore ton histoire, je la trouve très représentative de ce que vive beaucoup de grands-parents. Je t’envie d’avoir connu ta grand-mère, ça te donne une longueur d’avance sur moi pour ton rôle de grand-maman. Je suis sûre que tu es une grand-maman en or. Ton petit-fils l’appréciera encore plus en vieillissant.
Votre texte est séduisant et d’une sincérité digne de votre belle personnalité.